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MINUTE FIBROSOPHIQUE : SISYPHE


Il fut un temps où je me croyais invincible. Comme Sisyphe défiant les dieux, je pensais pouvoir tout porter, tout gérer, sans faillir ni fléchir. Travail, famille nombreuse, tâches du quotidien, problèmes à résoudre… Je voulais tout mener de front, et surtout, tout bien faire. Toujours plus, toujours mieux, pour les autres, sans jamais m’arrêter.


Mais à trop braver les limites, vient le moment où l’on trébuche. Sisyphe, dans son orgueil, avait osé défier l’ordre divin, et sa punition fut sans appel : une pierre immense à rouler sans cesse jusqu’au sommet d’une montagne et qui retombe toujours. Ma pierre est invisible, mais tout aussi pesante. La fibromyalgie s’est imposée comme une sentence, un fardeau quotidien, une douleur qui ne s’éteint jamais. Chaque jour, je la porte et, chaque jour, elle revient, inlassable.


Il fut un temps où j’ai cherché un sens à cette souffrance. Était-ce une punition pour avoir voulu trop en faire ? Une épreuve pour m’avoir crue plus forte que mes propres limites ? Peut-être. Mais le mythe de Sisyphe ne s’arrête pas à la douleur. Camus nous rappelle qu’il faut l’imaginer heureux, malgré l’absurdité de son destin. Alors, j’ai appris à accepter cette pierre, à ne plus la haïr, à la porter différemment. Mais cela aussi est à recommencer chaque jour, car c’est loin d’être acquis.


Ma vie, même marquée par cette maladie, n’est pas qu’un cycle de souffrance. Elle est aussi faite de petites joies, de moments de grâce qui illuminent l’ombre : un rayon de soleil au travers la ramure des arbres se déposant en pièces d’or sur le sol, Musique 3 qui fait vibrer les cordes d’instruments magiques dans l’habitacle de ma voiture, un livre qui me transporte au travers du temps et de l’espace, plus encore : mes enfants qui déploient leurs ailes, mes petits-enfants dont les yeux pétillent, un éclat de rire partagé avec l’homme que j’aime. Tout ce que je ressens intensément, malgré la douleur.


Alors oui, je suis Sisyphe. Mais je suis une Sisyphe qui choisit d’être heureuse. Je roule ma pierre, encore et encore, mais je regarde aussi le ciel, j’écoute le vent, je ressens la vie. La douleur est là, tout comme la fatigue et le cortège des autres multiples symptômes, elle fait partie du chemin, mais elle n’est plus tout ce que je suis.

Si votre pierre est aussi lourde que la mienne, souvenez-vous : nous ne sommes pas condamnés à la souffrance seule.


Nous pouvons, malgré tout, trouver du bonheur dans l’absurde. Et ça, c’est notre plus belle victoire.

 

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